La baie de Hann à l’heure de Copenhague…

mardi 08 décembre 2009 à 16:07 par baptiste

En Europe, le sommet de Copenhague s’est ouvert hier matin. A défaut de chefs d’états, l’équipe de Watch the Waste, en escale à Dakar, a rencontré les habitants de la baie de Hann, un des sites qui figure en bonne place dans le classement des plages les plus polluées du monde.

Le pied à peine posé à terre, la situation de la baie de Hann ne peut qu’être confirmée par nos premières sensations. A la lisière de l’eau, le sol est noirci. Des déchets par centaines s’amoncellent sur le sable. Mais surtout, une odeur de vase peu commune est omniprésente aux abords du ponton qui nous amène jusqu’à terre.


La plage de la baie de Hann. Dans le fond, la couleur originelle du sable, au premier plan, le sol noirci par les diverses pollutions qui touchent le site.

Très vite, nous rencontrons Babacar Fall, président de l’association Siggil Hann qui se bat depuis plus de cinq ans pour la restauration de la baie. Les membres de Siggil Hann habitent tous à proximité de la plage. Les plus anciens ont pu assister à la dégradation de leur cadre de vie : « dans les années 60, cette baie était considérée comme la plus belle plage du monde après celle de Rio de Janeiro ». En effet, ce site réunit des qualités exceptionnelles : de grande taille, on y retrouve un sable d’une rare finesse, exposé plein sud, à l’abri des vents et des courants. Mais aujourd’hui, rares sont ceux qui osent s’aventurer dans l’eau. Les quinze kilomètres de plage qui forment la baie sont devenus un des territoires anthropisés les plus pollués de la planète. Chacun semble ici déplorer un véritable gâchis qui s’est joué en moins de cinquante ans.


Rencontre avec Siggil Hann : de gauche à droite: Mame Yabe Diop, Mamadou Bocar Thiam, Baptiste Monsaingeon, Yann Geffriaud, Pape Sylla, Malang Badian (chef de quartier Marinas), Marcel Diatta, Mamadou Diédhiou, Babacar Tambidou, Mbaye Ndiaye, Pierre sassier, Babacar Fall.

Cinquante ans. Voilà une durée hautement symbolique pour le Sénégal. En 2010, le pays  célèbre cinquante ans d’indépendance. Cinquante années de développement sur un modèle très largement inspiré par ceux là même dont il s’est émancipé.

En cinquante ans, c’est aussi près de 80% de l’industrie du Sénégal qui s’est implantée aux abords de la baie de Hann.

UN ETAT DES LIEUX INCERTAIN

Malgré la triste réputation de ce site, peu d’études de la qualité des eaux ont été effectuées. Pire encore, le suivi par les autorités nationales de l’écosystème de la baie est quasiment inexistant (Il faut souligner ici les efforts nombreux de l’association OCEANIUM - - et de son président,  l’océanographe Haïdar El Ali, pour apporter des preuves matérielles de cette pollution). Cette absence quasi-généralisée d’investissements publics pour l’étude de la pollution de la baie est d’actualité… depuis plus de 10 ans.

En 2005, l’association Siggil Hann affirmait que le taux d’arsenic mesuré à certains endroits de la baie était soixante fois supérieur à la norme sanitaire tolérée. De même, le taux de streptocoques fécaux était 100 fois supérieur à celui admis par l’OMS. Cyanure de sodium, plomb, mercure, hydrocarbures en tous genres, ammoniac, acide chlorhydrique, gaz fréon sont autant de substances qui ont pu être décelées au cœur de la baie de Hann.

Les récits des pêcheurs sont là aussi riches en enseignements. Site longtemps connu pour être un espace de reproduction privilégié pour de nombreuses espèces aquatiques, l’appauvrissement des eaux est aujourd’hui un fait qui ne pourrait être associé à une quelconque forme de pêche intensive. Revenant de leurs frêles embarcations, les pêcheurs qui pouvaient, il y a encore quelques années, remonter leurs lourds filets pendant prêt de cinq heures, ne consacrent aujourd’hui que quelques minutes à chaque levée, pour un bien maigre butin. Sans compter ici sur la qualité des poissons, pour lesquelles, aucune enquête sanitaire n’a à ce jour été menée.

LES CAUSES D’UNE SITUATION CATASTROPHIQUE

La densité du tissu industriel de la baie de Hann est un fait. Faut-il pour autant faire de l’industrialisation la cause principale de cette pollution dévastatrice ? Comme souvent dans ces situations, c’est la compréhension des facteurs en jeu qui peut s’avérer éclairante.

Par manque de moyens ou manque de temps, l’urbanisation de la presqu’ile du Cap Vert s’est souvent effectuée sans planification préalable. Ainsi, les industries présentes à Hann ont, lors de leur installation, connecté l’évacuation de leurs eaux usées sur les canaux de régulation des précipitations se déversant directement en mer, en plein cœur de la baie. On retrouve à proximité toutes sortes d’activités : fabriques de dentifrices et de savons, d’extraction de l’huile d’arachide, entreprises d’abattage de viande, d’embouteillage de boissons gazeuses et de teinture industrielle. Ces activités, par nature, génèrent de grandes quantités de déchets liquides qui aboutissent systématiquement aux pieds des habitations littorales.


Vue du mouillage de la baie de Hann. Au fond, les fumées d’une des nombreuses industries qui jalonnent les alentours de la baie

Les pratiques domestiques entrent également en jeu.  L’urbanisation galopante est là encore un facteur non négligeable. Le réseau d’égouts de Dakar se limite à quelques quartiers datant de la colonisation. Aussi, dans les quartiers s’étant développés dans les cinquante dernières années, ce sont ces fameux canaux sillonnant la presqu’ile qui se sont transformés en tout-à-l’égout à ciel ouvert. Dans des quartiers où le service de collecte des ordures ménagères ne peut accéder, les ruelles étant trop étroites pour faire circuler le moindre camion, de nombreux habitants continuent de choisir la plage comme exutoire principal. Ainsi, à proximité de Hann-Pêcheur, les promeneurs peuvent observer une petite colline de déchets, attendant un improbable récupérateur.

Cette diversité des facteurs rend d’autant plus complexe toute tentative de résolution des pollutions qui touchent la baie.


Le canal IV. Un des effluents les plus toxiques de la baie de Hann. Au coeur de tous les débats concerant la dépollution du site

Le canal IV au niveau de son arrivée sur la plage (source Siggil Hann)

DES SOLUTIONS PARTIELLES… EN PERFUSION

Il serait faux d’affirmer que les autorités publiques n’agissent pas pour tenter d’améliorer les conditions de vie des riverains de la baie. Comme souvent dans les pays ayant connu la colonisation, des solutions sont proposées à travers des dispositifs de coopération internationale.

A deux types de pollutions, deux types de solutions. Tout d’abord, la baie de Hann est touchée par une forme d’envahissement détritique dont les conséquences sont essentiellement visuelles, esthétiques : bouteilles plastiques, sacs et autres débris de la consommation quotidienne constituent une première famille de pollution. Cette problématique des déchets solides a trouvé un embryon de réponse quand il y a trois ans, un projet de nettoyage de l’ensemble du site a trouvé un financement. Le sable de la plage a retrouvé pendant quelques mois sa splendeur d’entant. Malheureusement, ce projet n’a apporté qu’une solution éphémère : le matériel mis en place pour assurer un filtrage des macrodéchets sur la plage comme dans l’eau ayant été immédiatement retiré une fois que le contrat de coopération fût achevé. Un des écueils les plus fréquents des actions de coopérations, un effet de perfusion… temporaire.

Une autre famille peut être associée à l’ensemble des pollutions invisibles, véhiculées par l’eau elle-même. Il s’agit ici de répondre à la problématique des effluents toxiques qui se déversent directement dans la baie. Un projet co-financé par l’Agence Francaise de Développement est actuellement en cours de mise en œuvre afin d’isoler le réseau de canaux mis en cause et à terme, de traiter ces eaux usées (http://www.denv.gouv.sn/spip.php?article152). Ce programme au budget colossal (50 millions d’euros d’apports étrangers) semble donner un espoir réel à ceux qui luttent depuis des années pour la dépollution de la baie. Pourtant, il reste assez surprenant pour les observateurs extérieurs que nous sommes de constater que les acteurs de terrain, associations de quartiers et collectifs d’habitants, n’aient encore été consultés lors de la phase préparatoire du projet (qui dure depuis près de deux ans). Par ailleurs, un tel programme s’attache avant tout à résoudre le problème de pollution en aval de celle-ci : l’isolation du réseau d’eaux usées ne s’attaquant pas directement aux sources potentielles de pollution. Même si le cahier des charges du projet insiste sur la mise en place du principe « pollueur-payeur », les pistes de résolutions ne nous apparaissent pas assez contraignantes pour amener tant les acteurs industriels locaux que les propriétaires fonciers à investir dans le traitement du problème à sa source.

Pour conclure, il nous apparaît désormais primordial d’impliquer davantage les représentants locaux des populations directement concernées par les projets de dépollution de la baie. Représentants de quartiers et responsables associatifs devraient pouvoir en toute légitimité accéder aux discussions concernant l’avenir de leur espace de vie. Légitimité revendiquée depuis plusieurs années par des associations comme Siggil Hann, mais qui à ce jour, n’a que trop rarement pu être entendue. Pour essayer de comprendre cette surdité des autorités aux mouvements associatifs, il faut rappeler que dans le contexte africain, on constate que de nombreux mouvements se forment comme par effet de mode, suivant les opportunités de financement qui semblent pouvoir être obtenues. Mais, si ce n’est le secteur associatif, qui est en position pour rappeler à ces mêmes autorités qu’il existe, au Sénégal, un code de l’environnement, qui condamne lourdement l’ensemble des pratiques décrites plus tôt ?

Pour plus d’informations, visitez le site de l’association Siggil Hann : http://siggilhann.org


De gauche à droite: Yann Geffriaud, Baptiste Monsaingeon, Babacar Fall et Mamadou Thiam, lors de la conférence de presse commune organisée à l’ADP, le 7 décembre 2009.

Un grand merci à l’ensemble de l’équipe de l’association Siggil Hann qui nous a offert un accueil sans précédent et tout particulièrement à Babacar Fall, Mamadou Bocar Thiam, Adama Coulibaly et Mamadou Diedhou pour leur soutien au cours de notre escale.

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