Un carnaval à méditer?

mercredi 24 février 2010 à 18:46 par Equipe

Après quatre mois d’expédition, Watch the Waste est de retour en France! Mais ce bout de France là ne ressemble à aucun autre, surtout lorsque l’on y accoste pendant les jours gras: à la Martinique, entre le dimanche qui le précède et le mercredi des cendres, c’est Kawnawal!
Bon gré, mal gré, l’équipe de Watch the Waste découvre en arrivant au Marin, une île en pleine effervescence, où chacun semble n’avoir qu’un mot à la bouche… Le carnaval est ici une véritable fête nationale dans laquelle la plupart des martiniquais semblent s’investir corps et âme! Un indice de cette ferveur populaire: tous les commerces de l’île ferment à midi pendant toute la durée du carnaval!


Les diables rouges sont de sortie! C’est Mardi-gras à Fort de France!

Mais, cette année, le carnaval avait des raisons de remporter un succès populaire inégalé: l’année dernière, les grêves contre la ‘pwofitation’, avaient bloqué l’organisation de ces festivités. Aussi, en 2010, tout le monde attendait avec impatience les jour gras du mois de février.
Les festivités commencent dans l’île dès le mois de janvier: élection des reines (une par village), petits spectacles burlesques et autres foires. Mais c’est tout au long de l’année que chacun travaille au point culminant de la fête pendant les 4 jour gras du carnaval: fabrication des chars ou confection des costumes pour les danseuses et les musiciens, chaque groupe participant se livre à une compétition sans grand enjeu, si ce n’est celui du plaisir de la fête.
Les origines de ce carnaval remonteraient au prémisces de la colonisation sur l’île. Il se déroulait alors à Saint-Pierre, et a connu se heures de gloire jusqu’à l’éruption de la montagne pelée. La forme actuelle du carnaval est plus récente et apparaît comme un métisage entre culture africaine et carnaval tropical, à l’image de celui de Trinidad ou de Rio.

Pour ce qui est du rite populaire, la fête commence véritablement le dimanche avec la présentation du “vaval”, un mannequin géant, personnage emblématique de la célébration, objet des moqueries constituant le centre de gravité de ces quatre jours d’euphorie. Cet année, le vaval qui représente en général un homme politique ou une célébrité, avait pri la forme d’un gros banquier tenant dans ses mains des liases de billets. Ce jour là, chaque ville et village de la Martinique envoie chars, danseurs et musiciens vers Fort de France où se déroule la grande parade du Carnaval. Le lundi est dédié à l’innversion des sexes et au mariage burlesque: les hommes se travestissent en femme et inversement. Le mardi-gras est le jour de la sortie des “diables-rouges”, véritable symbole du carnaval martiniquais, et jour de l’apogée des festivités. Ceux-ci défilent dans les rues et sont censés effrayer les enfants. Enfin le mercredi, on annonce le matin la mort de Vaval et la ville défile endeuillée de noir et de blanc: au crépuscule on brûle le mannequin pour achever les festivités.

Si nous nous attardons à vous décrire cet événement qui pourrait sembler à certains très éloigné de l’objet de notre périple, c’est tout d’abord qu’une telle ferveur populaire ne saurait laisser qui que ce soit de marbre. Mais plus encore, il nous est apparu que cette célébration mettait en scène quelque chose qui pouvait ressembler à ce que nous traquons sur les mers depuis le début de ce voyage: le déchet. La tradition carnavalesque est depuis toujours associée à une forme de lacher-prise où tout tourne autour de l’excès. Dans la tradition chrétienne, le mardi-gras est un jour d’excès où l’on consomme de la viande avant le jeun du carême.
Les formes plus contemporaines du carnaval perpétuent cette dimension de l’excès et lui donnent corps en général à travers des manifestations publiques. A cette abondance de décors, de couleurs, de gestes, de cris, de chants, le carnaval martiniquais apporte une touche de dérision où les questions politiques sont placées au coeur de la fête. Chacun participe à construire cela même que la manifestation collective va amener à détruire. En effet, Vaval, le personnage clé du carnaval est fêté pendant trois jours, mais, en dernier lieu, ce que l’on célèbre, c’est sa destruction par le feu. De même avec les chars qui seront brûlés à la fin de la fête.

Ce que nous souhaitions souligner ici, c’est le caractère presque vital de ce qui se joue dans les pratiques de mise au rebut. Ce que l’on rejette et que l’on veut voir diparaître définit les frontières d’un extérieur: la communauté se fonde sur ce qu’elle refuse de voir s’insérer en elle. En bref, il y a de la vie dans le déchet et dans les rites qui le mettent en jeu.
En d’autres termes, il n’y a de superflu que dans l’abondance. Le carnaval met en scène cette abondance vécue par tous comme un moment libérateur, peut-être parce que pendant ces quelques jours, ce qui à tout autre moment aurait été vécu comme un pur gaspillage est alors compris par tous comme un acte vital. Par extension, il est possible de considérer l’acte qui fait le déchet comme un geste qui libère, ponctuellement, celui qui jette de ce qui l’encombre. Par ce geste, l’individu marque on appartenance à une communauté, celle des consommateurs. Jeter devenant alors un moyen d’accéder à un statut privilégié, car en effet, ne jette que celui qui a possédé.

En guise de conclusion, revenons-en à des constats plus terre à terre. Un carnaval ne se fait pas sans déchets bien concrets: bouteilles platiques, emballages polistirène pour déjeuners à emporter… et la côte de Fort de France, balayée par les vents d’est s’ouvre à l’ouest sur une baie qui, sans nul doute, aura gardé quelques traces de ces jours d’euphorie nécessaire.

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