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Quand la croisière amuse

jeudi 25 février 2010 à 17:22

Le phénomène à commencé aux Canaries. Au couché du soleil, le gigantesque quai à coté du mouillage d’Alcavelis est vide. Le lendemain matin, un véritable immeuble flottant y est amarré, déversant son flot de touristes le temps d’une journée pour repartir à la tombée de la nuit. La croisière en paquebot connait des adeptes depuis longtemps mais ces vingt dernières années, cette nouvelle forme de tourisme de masse s’est largement popularisée, dépassant les 10% de croissance annuelle. Et devinez quelle est la destination la plus prisée par les croisiéristes… Les Caraïbes bien sur.

Paquebot a quai

Au cours des escales de l’équipe Watch the Waste entre Grenade et la Dominique, ce n’est plus un paquebot par semaine en escale mais plutôt un à deux par jours! Véritable villes flottantes, les paquebots en question atteignent dorénavant des dimensions titanesques, près de 300m de long, plus d’une quinzaine de ponts pour accueillir 2500 à 3000 passagers, seul le dépaysement connait une limite: centre commercial, casino, salle de spectacle, cinémas, piscines, spas. Tous les moyens de consommation sont là pour que le client dépense ses euros-dollars à bord! Le prix du séjour oscille entre 600 euros par passager pour une cabine intérieure à plus de 3000 euros pour une suite avec balcon et vue sur mer… si le navire accoste du bon coté. Le principe séduit actuellement près de 15 million de personnes, d’abord américains, le vieux continent est encore un peu à la traîne.

L’impact économique sur les lieux d’escale des paquebots est malheureusement bien inégal. Lorsque l’un d’entre nous demande à un chauffeur de taxi si le travail est là, il acquiesce vivement en nous annonçant que deux paquebots sont attendus demain. L’affaire est tout aussi profitable pour les agences de location de voitures, pour les guides touristiques et les échoppes de souvenirs; quand un paquebot vient, tout va! Malheureusement, la restauration et les commerces ne ramassent que les miettes, les escales ne durent que dix petites heures, tout ce qui peut se vendre à bord doit être acheté à bord.
L’image du touriste n’en sort pas non plus indemne. Pas étonnant que lorsqu’on voyage dans de tels pays, nous soyons considérés comme des cartes de crédit ambulantes quand près de 6000 personnes par jours font le tour de l’ile en quelques heures. Comment peut-on se réjouir d’un instant aussi éphémère sur une ile aussi riche que la Dominique? « J’ai fait la Dominique » annonceront-ils à leurs amis… Ce type de tourisme « Disney » a quelque chose de méprisant pour la population d’un pays, son essor tend à l’uniformiser jusqu’à rendre les formes de tourisme plus traditionnelles de plus en plus inaccessibles.

Les perspectives économiques d’un paquebot en escale sont telles que les iles se précipitent dans la construction de quais géants pour accueillir ces mastodontes, sans pour autant prévoir les infrastructures annexes.

L’environnement en est encore une fois la première victime. Inutile de préciser que de tous les navires, les paquebots sont ceux qui rejettent le plus d’eaux noires (issues des toilettes), d’eaux grises (douches et lavabo) et de déchets solides (estimés à 20 tonnes par jour!). Comment des iles de moins de 100 000 habitants peuvent prétendre recevoir une telle quantité de déchets quotidiennement? Cela ne laisse que peu de doute sur leur destiné.

Les émissions de gaz constituent un problème tout aussi alarmant. La consommation énergétique des équipements à bord d’un paquebot est telle qu’aucun port d’escale ne peut prétendre fournir la puissance électrique nécessaire. Ne pouvant se « brancher », le navire à quai doit donc continuer à produire sa propre énergie à l’aide de ses génératrices diesel fonctionnant au fuel lourd. Comme les quais sont le plus souvent au cœur des villes pour des raisons pratiques, les habitants ont la chance de respirer des taux de NOx bien supérieurs à la moyenne!

Malgré cela, les trois géants du « cruise business » que sont Carnival, Royal Caribbean et Star Cruises sont passés entre les griffes de Copenhague. Certains annoncent des progrès environnementaux pour soigner leur image. Avec des chiffres d’affaires avoisinant les 15 milliards de dollars, leurs projets de paquebots toujours plus grands, toujours plus fous, ne craignent pas la crise… Tant que la croisière amuse !

Il y a le ciel, le soleil, la mer… et le tourisme !

samedi 20 février 2010 à 04:59

L’équipe de Watch the Waste remonte depuis bientôt un mois l’arc antillais. Tobago, Grenade, les Grenadines, Saint Vincent, Sainte-Lucie… un chapelet d’île aux noms qui font rêver.
Nous n’avions jamais croisé autant de voiliers que depuis que nous avons atterri dans ce que tout le monde qualifie ici d’un véritable “paradis pour la plaisance”.
Et effectivement, des îles éloignées de 40 milles au plus, un vent établi et plutôt régulier, une mer belle le plus souvent… ajouté à cela les incontournables de la carte-postale, cocotiers et sable fin. Nous y sommes, le paradis n’est plus très loin… ou presque !

De quel paradis parlons-nous? Les caraïbes offrent bel et bien un environnement qui fait rêver dans les rames des métros européens. Les îles constituent ainsi des eldorados pour travailleurs fatigués, en quête de farniente. Et rien de tel que le bateau pour se détendre un peu ! Va pour l’évasion! Mais peut-on seulement en rester à cette image sur papier glacé?

Arrivés à Prickly Bay, au sud de Grenade, le décor est planté. Dans une large baie, des centaines de bateaux sont mouillés. Certains arrivent directement depuis l’autre côté de l’océan, mais l’essentiel est constitué par des yachts de location et autres charters à la semaine. Aussi, mouiller ici, c’est un peu comme chercher à se garer dans un parking de supermarché: les places sont rares et chères !

Aux Grenadines, tout semble fait pour faciliter le quotidien des plaisanciers en congés: “Sail fast, Work less”, un slogan que l’ont peut lire un peu partout. Entre Union Island et Bequia, dans les Grenadines de Saint-Vincent, des boat-boys viennent inlasablement aux abords de chaque embarcation mouillée pour proposer du poisson frais ou des langoustes, que les touristes n’ont pas le droit de pêcher eux-mêmes. Les mêmes proposent des services de laverie, la livraison de pain frais, ou de croissants pour le lendemain matin, sans compter les invitations répétées à essayer les quelques paradis artificiels locaux. Dans les Grenadines donc, plus besoin de sortir faire ses courses, le supermarché vient jusqu’à votre échelle de bain.


Un boat-boy dans les Tobago Cays

Au coeur de cet archipel, les Tobago Cays constituent un point de passage obligé pour tous ceux qui naviguent sur ces mers. Une série de barrières de corail enrobent un lagon aux eaux translucides et protègent une faune d’une grande richesse: toutes sortes de poissons aux couleurs exotiques, tortues, raies, barracudas et autres requins peuplent ces fonds d’une rare beauté. A cette faune aquatique vient se mêler une faune touristique tout aussi dense. Des bateaux par centaines viennent passer une nuit ou deux au coeur de ce joyau aquatique.

Mais, les Tobago Cays sont aujourd’hui une réserve marine. Ce statut oblige tout visiteur à s’acquitter d’un droit d’entrée et ce afin de financer la protection du site. A cette taxe est associée un réglement strict sur la conduite à tenir dans la réserve. Ainsi, malgré le nombre gigantesque de visiteurs pour un espace si retreint, le tourisme semble, ici, participer à une forme de protection du patrimoine naturel local. Ce constat de propreté peut même être généralisé à la plupart des sites rencontrés sur notre parcours…  Comment expliquer que malgré cette fréquentation intensive, ces îles demeurent le plus souvent d’une propreté exemplaire?

Le touriste rend-il propre?
Pendant nos formalités d’entrée à Grenade, un message est répété par le fonctionnaire en poste: ici, on ne plaisante pas avec les pollutions. Des questions nous sont posées sur notre caisse à eau noire et sur nos pratiques à bord: la question des déchets est prise ici très au sérieux. Et pour cause, il ne faudrait pas gâcher la carte postale!
En quelques décennies, le tourisme est devenu pour l’ensemble de l’espace carribéen la ressource économique principale. Aujourd’hui, l’ensemble de ces pays est dépendant des flux touristiques saisonniers, et rien ne semble en passe de changer: le développement d’infratructures de transport ou l’omniprésence des boat-boys sont autant d’indices de l’avènement d’une monoéconomie dédiée aux loisirs et à la détente pour occidentaux de tous horizons.
Et, cette évolution n’est pas perçue comme négative. A propos de déchets notamment, beaucoup de ceux qui ont vu ces îles avant l’arrivée massives des bateaux de croisières et autres charters estivaux ne peuvent que constater une amélioration évidente de l’hygiène publique. Du moins, d’un point de vue esthétique et pour les espaces fréquentés quotidiennement par ces flux touristiques.

Car, en effet, si la vitrine est impécable, que dire de l’arrière boutique? Dans la plupart des îles croisées sur notre parcours, il n’existe pas de véritable sytème global de gestion des rebuts. Tantôt simple stockage, souvent un peu d’incinération à l’air libre. Les flux touristiques s’accompagnent de flux de marchandises importants. Or, en l’absence de solutions de gestion industrielle des volumes détritiques engendrés par cette économie des loisirs, comment considérer l’apparente propreté des espaces publics rencontrés? Dans de nombreux endroit croisés, dès que le visiteur quitte de quelques centaines de mètres les espaces dédiés à l’accueil des touristes, la rue est jonchée de cadavres de bouteilles et autres restes de ‘take away’ vite mangés, vite jetés. On raconte que certains boat-boys jeteraient directement à la mer le ordure confiés non sans pourboires par des plaisancier pressés: choisissant la côte Atlantique comme décharge naturelle, laissant le travail aux vents et aux courants. Dans l’univers du déchet dans les caraïbes, il semble donc y avoir deux planètes qui ne sont pas censées se rencontrer. Ainsi,  à savoir si le tourisme demeure un vecteur d’amélioration du cadre de vie des insulaires, la question doit rester ouverte. 

A cette question laissée en suspens répond une autre interrogation: est-il seulement possible de vivre dans le paradis des autres?

Une affaire à suivre !

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